JB ♦ "J'aimerai être contemporain autant qu'intemporel"

J'suis né à Paris, il y a vingt-trois ans. Papa trader, Maman a sa ligne de fringues, je suis né avec une cuillère de mille balles entre les lèvres. J'me plains pas, mes parents auraient pu être divorcés. Mais en fait, ils pouvaient pas s'engueuler, parce qu'ils étaient jamais là. J'ai été élevé par différentes femmes que ma famille embauchait, rien de bien méchant. J'ai maladroitement tenté de suivre le chemin que ma famille si richissime avait soigneusement tracé pour moi jusqu'à mes treize ans. Au collège, j'ai appris qu'il y avait autre chose de possible, et j'ai passé mes nuits dehors. C'était facile et pas grandiose – la fenêtre de ma chambre fermait mal, donc on ne la fermait pas du tout. Dès vingt-et-une heure, la maison dormait. Je m'enfuyais comme un voleur en troquant ma chemise blanche de luxe pour des sweat-shirt du psg. La classe, pas vrai ?

Mon adolescence a été une longue, longue, très longue période de flou complet. Je menais de front mes deux vies, je bouffait avec des anciens ministres le dimanche, et la nuit du lundi suivant, je fuguais pour retrouver mes potes, tellement normaux mais si marginaux que ma mère aurait vomi rien qu'en voyant leurs vestes sales. J'ai commencé par arrêter d'aller en cours, par tricher pour réussir mes exams, par fumer, boire, draguer. Ça paraît débile mais chez moi, on épousait pas n'importe qui. Chaque fille que t'osait ramener se retrouvait inévitablement au centre de la discussion, même si elle était au bout de la table, et finissait toujours par se casser en pleurant.

Et puis, j'ai grandi. J'ai tenté d'assumer celui que j'étais mais c'était peine perdue. Ma famille préférait se dire que je faisais une crise d'adolescence un peu longue, qu'après tout, les livres le disait, c'était normal et très bien. Je sais aujourd'hui que ça les affolait, de me voir flinguer l'arbre généalogique. J'étais le seul à pas réussir à me plier aux règles, à pas avoir de bonnes notes, à sortir dans les rues, à porter ce genre de vêtements, ce genre de chaussures usées jusqu'à la corde. La honte des Richard, c'était moi. Et parmi mes potes, j'étais différent. Je savais rapper en alignant les rimes et les jeux de mots, je savais draguer discrètement et ça marchait toujours. J'invitais personne chez moi, même pas mes copines, je sentais toujours du chanel sans que la moindre fille m'ait côtoyé, j'avais toujours assez d'argent pour payer une tournée de grecs à ma bande.

Et puis, quand j'ai eut mon bac – S, bien sûr, après des difficultés qui montraient que, de toutes évidences, j'aurait dû être en L – mes parents ont respiré. C'est bon, j'allais rentrer dans le droit chemin. Tu parles. Dix-huit ans, Paris était à moi et légalement, cette fois. Je me rappelle de ces deux semaines où je suis pas rentré. J'étais parti le samedi avec mes fringues sur le dos – une vieille veste militaire crasseuse que j'ai encore, une casquette, les cheveux trop longs en queue-de-cheval, et j'étais pas revenu. J'avais dormi chez un pote, dans les hall d'immeubles, sur les bancs publics, et quand je suis revenu, puant la cigarette et l'alcool trop pur, je m'étais pris une gifle monumentale. Pourquoi j'vous parle de ça ? Ah oui. C'est la seule fois où mon père a levé la main sur moi. Il s'était inquiété. Le lendemain, j'étais inscrit dans une de ces grandes écoles pour futurs avocats. Terminé, les potes, la liberté. J'ai dû bosser sous l’œil d'un prof à domicile, comme en primaire. Vingt-trois ans, toujours pas de taff, toujours à la maison de papa-maman, et là, ils ont décidé de déménager. Comme ça. Du jour au lendemain, adieu Paris, adieu ma France, j'étais dans l'avion pour la Nouvelle-Zélande – est-ce utile de préciser que je ne sais pas où c'est ? J'ai jamais dit au revoir à mes potes. J'ai jamais dit au revoir à ma copine du moment, une blondinette qui était accro. J'ai jamais eut le temps de me retourner et d'apprécier une dernière fois mon pays et ma ville, mon terrain de jeu. J'ai atterri ici, avec l'inscription pour la filière Juridique. Une nouvelle vie, disait ma mère avec son sourire. Une nouvelle chance, ajoutait mon père, sourcils froncés. J'ai réussi à changer en douce de filière avant la rentrée, mais je déteste ce pays. Je déteste cette université, je déteste être loin de chez moi, et je déteste ne toujours pas pouvoir être tranquille.