kill your darlings + zara

Zara, quatre lettres, vingt-trois ans et toutes tes dents. Tu es née en Angleterre dans une chambre d'hôpital de luxe. Une belle chambre aux murs poudrés avec vue sur un parc. La moindre des choses pour quatorze heures de travail. Ton frère avait été plus rapide. Moins bruyant. Moins fatigant. Alors que tu braillais à t'en déchirer les cordes vocales et peinais à faire des nuits complètes, lui demeurait d'un calme parfait et ne troublait aucunement le sommeil de vos parents. Un an d'écart seulement et pourtant si différents. Les choses avaient heureusement changé et vous étiez vite devenus un duo impossible.
Ton enfance avait été d'un classique mortel. Parents absents mais d'une rigueur implacable. Gardiennes se succédant au rythme des folies de ta mère. Ecoles privées. Repas de Noël sans chaleur. Les années étaient passées, tes espoirs aussi.
L'avantage de l'argent est que sans pour autant soigner les blessures, il les recouvres. Les caches. Un anniversaire oublié? Des vacances à Barcelone pour te faire passer la pilule. Spectacles de théâtre ratés? De nouvelles bottines à ajouter à ta collection. C'était toujours la même chose. On ne te demandait que de te taire, de ne pas faire de vagues. D'être belle aussi. Aussi belle que ta mère à ton âge. D'être mince. De rester  mince. D'avoir de bonnes notes, mais juste pour le prestige.
Ton frère avait rapidement compris le système et en profitait allègrement. C'était plus dur pour toi. Ta détresse déteignait sur ton attitude, sur ton comportement. Cachant tes failles derrière un masque de cynisme et d'insolence. Tu avais commencé à boire tôt, entourée d'adolescents du même âge. Vous restiez en groupe, ne vous mêlant que rarement à la plèbe. Plus tard les soirées s'étaient faites plus intenses, plus folles. Tu avais plongé. Un peu. Tu aimais le rush, l'euphorie. Tu vivais pour ces sourires sur les lèvres de tes amis alors que leurs pupilles se dilataient exagérément. Tu ne pensais ni à l’imminente chute ni au grand vide à l'intérieur de toi.

Lorsque tu avais eu dix-huit ans tu avais annoncé à tes parents ta décision de retarder ton entrée à l'université. Ce n'était en soit pas un problème mais les cris avaient fusé,  résonnant entre les murs blancs du grand salon. Tu avais d'abord pris un an pour toi, te consacrant au théâtre, à tes amis et ta vie de jeune délurée. Et puis tu t'étais lassée. Lassée de n'avoir goût à rien. Lassée  de ne rien accomplir. Tu t'étais mise à lire plus, variant les genres. C'est à cette époque que l'idée du tour du monde avait germé dans ta petite tête. Tu avais fait des recherches. Nombreuses. Ton frère se foutait de toi, persuadé que tu rentrerais en courant au moindre pépin. Mais toi tu n'avais pas peur. Tu te sentais d'attaque du haut de ton mètre soixante-treize.  La condition de tes parents, elle,  avait  été simple :  A ton retour, tu intègrerais une université dans le programme de ton choix. Deux ans pour te décider, c'était bien assez. Conformément à leurs exigences, tu avais postulé dans plusieurs universités, toutes plus éloignées de Londres les unes que les autres. Chacune dans un programme différent. Sans même attendre les réponses tu étais partie, âgée tout juste de dix-neuf ans. Tu avais visité les Etats-Unis, étais descendue plus au Sud, découvrant avec émerveillement les paysages verdoyants de la Colombie et les ruines du Machu Picchu. C'est environ à cette époque que tu avais reçu un appel de ton frère te prévenant de ton acceptation à l'université de Waikato au pays du Seigneur des Anneaux. Il t'avait ensuite rejoint en Australie où vous aviez passé ensemble un long mois. Tu étais ensuite rentrée te préparer à ta rentrée imminente, bien plus excitée que tu ne l'imaginais.  Là bas tu avais rapidement intégré les Chimaires, déterminée à te sociabiliser le plus vite possible.