(chaz) dude, there's something wrong with you

La cafétéria de l'université, bondée. Les élèves qui fourmillent, entre les tables rondes et les chaises inconfortables. Et le bruit étouffé de leurs voix et de leurs rires. Millie avance, et personne ne la remarque. Jusqu'à ce que des meringues tombent du plafond. Légères, colorées. Elles viennent délicatement se poser sur le sols, les épaules, les tables. Tic. La jeune fille se baisse, en ramasse une, qui s'évapore entre ses doigts au moment où elle la porte à sa bouche. Tic, tic. Elle a l'impression de flotter. Et tous les visages se tournent vers elle, et parle d'une seule voix. Putain, merde. Elle ouvre difficilement les yeux, et découvre le mur de sa chambre, à la confrérie Sfinga. Aucune meringue en vue. Tic. Elle sursaute, se relève brusquement, et attend une seconde, dans le noir. Du moins, pas tout à fait, car la pièce est légèrement éclairée par la lumière de l'extérieur, ces lampadaires aux ampoules cinquante mille watts qui empêchent de s'endormir. Tic. Elle tourne la tête vers la fenêtre, l'esprit encore embué par le rêve. Elle se lève, s'approche doucement, prudemment du carreau. Tic. Un caillou vient s'écraser sur le carreau, au moment où elle y approche son visage. Putain, c'est quoi ce bordel.
Elle ouvre la fenêtre, se prend un caillou sur le front. - Aïe, putain. Et en baissant les yeux, elle aperçoit Chaz, sur la pelouse. - Chaz ? Putain mais qu'est-ce que tu fous ? Elle le voit tituber, lâcher un petit rire. Elle attend une réponse, frissonnant à cause du courant d'air froid qu'elle a laissé entrer dans la pièce. Les sourcils froncés, les paupières difficilement gardées ouvertes, elle vérifie que ses colocataires sont bien endormies pour se pencher par la fenêtre, et crier à mi-voix. - Mais t'as vu l'heure, bordel ? Trois heures du matin. De quoi justifier les injures que la jeune femme lâche depuis quelques minutes. Elle sait que Chaz est un fêtard invétéré, mais là, c'est légèrement trop. Il baisse son pantalon, et lui montre ses fesses. Elle serre les paupières, d'un coup, lâchant un putain bien mérité, tentant d'oublier cette vision d'horreur qui restait imprimée sur l'écran de ses paupières. - Bordel, t'es pas sérieux. Remonte ton slip, idiot. Elle ouvre un œil, lentement, et voit qu'il ne lui a pas obéi. Elle prend une grande inspiration, se retient de rire, et fixe l'horizon en attendant qu'il se refroque. Quel con. - Qu'est-ce que tu viens faire sous ma fenêtre, à trois heures du matin, jeter des cailloux et me montrer ton cul ? Elle hausse un sourcil, attend une réponse. Chaz Rimmer est un phénomène de foire.

Et voilà que, non content de l'avoir réveillée en plein milieu de la nuit, Chaz Rimmer offrait à Millie un pseudo-rap totalement raté. Le foinix n'avait aucune chance de suivre une carrière à la Eminem. Mais bon, au moins, ça rimait. Et c'était drôle. Elle haussa les yeux au ciel, presque totalement réveillée désormais. Elle l'observa saluer un public imaginaire. Il avait définitivement trop bu. Beaucoup, beaucoup trop bu. Elle se mordilla l'intérieur de la joue pour ne pas rire, parce que rire était signe de faiblesse lorsque l'on était fasse à Chaz, et que Millie ne voulait absolument pas que le jeune homme interprète son rire comme un encouragement. - Ok, fesse pâle, ton histoire était super intéressante, mais là, j'ai juste envie de revenir me coucher. Elle marqua une pause, et reprit. - Et rêve pas, même si je descends, ce ne sera certainement pas en pyjama. Quoique. Millie se demandait parfois ce qu'il adviendrait si elle se laissait emporter dans les frasques de Chaz.
C'était arrivé, une fois. Elle ne s'en rappelait que très, très vaguement, mais Chaz ne faisait que lui répéter à quel point elle s'était amusée. Ce qu'elle niait de toute son âme, bien évidemment. Parce que ce serait trop simple d'avouer qu'elle s'était éclatée, sans même se rappeler de ce qu'elle avait fait ce soir-là. Et c'était d'ailleurs depuis cette soirée qu'elle avait décidé de poser une limite à sa consommation d'alcool. - Et je ne t'autoriserais pas à me… Milli...naper ? Elle fronça les sourcils. Décidément, l'alcool avait bien attaqué son cerveau. Elle resta une minute à la fenêtre, à peser le pour et le contre. Après tout, elle était bien réveillée, et il lui faudrait au moins une demi-heure pour se rendormir. Et passer à côté d'une occasion pareille, ce serait dommage. Ou pas. - Bon ok, c'est quoi le plan, Eminem ? Après tout, qu'est-ce qu'elle avait à perdre à suivre Chaz. Enfin, mis à part sa dignité ?

Il faisait bon dehors, maintenant qu'elle n'était plus dans les vapes. Elle entendit Greer marmonner dans son sommeil, et son cœur s'accéléra. Comme si être prise en flagrant délit de discussion nocturne avec un mec totalement bourré un étage plus bas constituait le pire crime qu'elle puisse commettre. C'était idiot, bien sûr, parce que du moment qu'elle ne réveillait personne, elle était bien en droit de faire ce qu'elle voulait. Et ce qu'elle voulait, à ce moment-là, c'était de courir dans l'herbe et boire au goulot d'une bouteille d'alcool avec Chaz. Comportement peu respectable et surtout assez puéril, mais elle s'en fichait.
Elle sourit de toutes ses dents en voyant Chaz hurler sa joie sous la fenêtre, et lui ordonna de se taire dans un rire étouffé. - Crétin, tu vas réveiller tout le quartier ! Et elle voulait que cette petite virée reste entre eux. En fait, elle n'avait pas envie d'admettre qu'elle aimait bien Chaz. Ce crétin fêtard qui n'en manquait pas une. Non, c'était impossible qu'ils s'entendent. Alors, ça resterait secret. Du moins aussi longtemps que ça puisse le rester, c'est-à-dire pas très longtemps, au vu de l'état de Chaz.
- Fesse pâle, je te le dis, ton plan craint. Mais ok, allons à Chazville. Elle recula, enfila un pantalon en trois secondes, puis se pencha de nouveau par la fenêtre. - Merci, pour l'explication, Einstein. Elle fit une moue moqueuse, puis referma la fenêtre. Elle attrapa sa veste, ses chaussures, et descendit les escaliers sur la pointe des pieds. Tout le monde dormait, chez les Sfinga, alors il était plus que simple de se faufiler à la cuisine, attraper quelques bières dans le frigo, et sortir par la porte de devant.
Elle retrouva Chaz, allongé dans l'herbe, sourire aux lèvres. Elle cogna deux bouteilles l'une contre l'autre pour annoncer sa présence. L'appel de l'alcool, ça marchait à tous les coups. Elle s'approcha de lui en trois enjambées, et sourit. - Pas besoin de me kidnapper, je vais à l'abattoir toute seule, t'as vu ? La nuit s'annonçait longue. Ou pas.